vendredi 28 mars 2008

Projet de loi C-484: La bonne chose à faire
par Cathy Wong


Ce texte fut publié dans l'Affidavit, le Journal officiel des étudiants de droit de l'UQAM, dans la parution du mois d'avril 2008.
Il porte sur l'adoption à sa 2e lecture du projet de la Loi sur les enfants non encore nés victimes d'actes criminel
(Projet de loi C-484)


« L’avortement ne sera jamais recriminalisé au Canada! », me dit fermement un collègue étudiant en droit. Depuis un moment déjà, nous discutons de l’adoption du projet de loi C-484 visant à criminaliser le fait de « causer la mort d’un enfant non encore né. » Cet étrange projet, peu médiatisé et peu connu, vient d’être discrètement adopté à la Chambre des communes, et a suscité peu d’émotions au sein de la population canadienne. Pourtant, depuis la victoire de 1988 du docteur Morgentaler en Cour suprême, jamais le droit à l’avortement n’a été autant menacé.

En effet, le 5 mars dernier, 147 député-es fédéraux contre 132 ont voté en faveur d’un troublant projet de loi préparé par le député conservateur de l’Alberta Ken Epp, visant à redonner un statut légal au foetus lors de la perpétration d’une infraction. Le projet de loi C-484 a pour fin de criminaliser « la personne qui cause directement ou indirectement la mort d’un enfant, pendant sa naissance ou à toute étape de son développement intra-utérin, en perpétrant ou en tentant de perpétrer une infraction à l’égard de la mère — qu’elle sait ou devrait savoir être enceinte. » En d’autres mots, ce projet de loi inquiétant, adopté à sa deuxième lecture, vise à créer une nouvelle catégorie de victime dans le Code criminel en accusant de deux homicides distincts, soit celui de tuer « la mère » et celui de « causer la mort d’un enfant non encore né », le meurtrier d’une femme enceinte. Le choix des termes dans ce projet de loi suggèrent, non seulement que la femme enceinte est déjà « mère », mais accordent aussi clairement une personnalité juridique au foetus en lui attribuant les qualités d’un « enfant. » Cette préférence de mots dans la construction du texte de loi ne sont pas le fruit d’un pur hasard et démontrent clairement les couleurs de son promoteur. De plus, l’alinéa 5 dudit article spécifie clairement que l’argument selon lequel l’enfant n’est pas encore un être humain ne constitue pas un moyen de défense contre une accusation fondée sur le présent article...

« L’avortement ne sera jamais recriminalisé au Canada! » me redit avec conviction mon collègue étudiant en droit. Et pourtant, le projet de loi C-484 sépare le foetus de sa mère en lui donnant un statut juridique distinct et criminalise toute personne mettant fin à l’existence du foetus, y compris potentiellement la femme enceinte elle-même.
Si ce projet sur l’homicide foetal est finalement adopté en troisième lecture, le Canada, pour la première fois depuis janvier 1988, reconnaîtra des droits au foetus et par le fait même, préparera la voie à une éventuelle recriminalisation de l’avortement.

En effet, le 28 janvier 1988 la Cour suprême du Canada refusait finalement de reconnaître des droits au foetus en décriminalisant l’avortement dans l’affaire Morgentaler. Les juges, dans l’arrêt Daigle c. Tremblay, statuaient que seule la femme enceinte a le droit de contrôler sa grossesse en vertu de la Charte québécoise des droits et libertés. La Cour Suprême concluait aussi dans l’arrêt Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg c. G (D.F.) que l’enfant n’a pas de personnalité propre et qu’il est indissociable de la mère. Tous ces arrêts confirment le fait que le foetus n’est pas une « personne » au sens de la loi, réservant uniquement ce statut aux humains « nés vivants et viables. » En vertu de l’article 223 du Code criminel, un enfant devient un être humain lorsqu’il est complètement sorti, vivant, du sein de sa mère.

La jurisprudence canadienne a, à maintes reprises, insisté sur l’importance du droit accordé aux femmes de contrôler leur propre fertilité. Par contre, l’auteur de ce projet de loi, le député Epp, en proposant le projet de loi C-484, ferme les yeux sur toute cette évolution juridique. En Chambre, lors de son discours de présentation, il compare la fin de l’existence d’un foetus aux décès de son père, de son beau-frère et de sa grande-nièce. Selon lui, son projet de loi « érige en infraction le fait de tuer ou blesser un enfant à naître » afin de répondre au « chagrin des proches » du défunt.
Bien camouflé sous des arguments fondés sur les sentiments des personnes en deuil, ce projet constitue une stratégie politique, parmi plusieurs autres depuis 1988, visant à redonner un statut juridique au foetus. Depuis l’arrivée au pouvoir du Parti conservateur, plusieurs députés fédéraux (conservateurs et libéraux) se rencontrent sous le nom du « Caucus Pro-Vie » afin de réduire l’accessibilité à l’avortement. Et malgré les promesses électorales du Premier ministre Harper de ne pas réouvrir le débat sur l’avortement, le Parti conservateur tente, comme l’affirme la députée bloquiste Meili Faille, de faire indirectement ce qu’il n’ose faire directement. Indubitablement, le projet de Ken Epp représente un prélude à la relance du débat sur l’avortement.

« Je demande simplement à tous les députés d'appuyer ce projet de loi parce que c'est la bonne chose à faire, » dit-il à la fin de son discours. En d’autres mots, voter « contre » ce projet de loi équivaut à être « contre » les bonnes choses et « pour » les mauvaises choses à faire! Qui oserait voter contre un projet qui, comme le vante le député conservateur Jeff Watson, « aide les femmes »? Sans vouloir douter de la qualité des arguments et de la sincérité des sentiments du député Epp et de son parti, il n’en demeure pas moins qu’une argumentation basée sur un leitmotiv typiquement conservateur tel que la division de ce que constitue le bien et le mal dans une société démocratique et la justification des sentiments de souffrance et de vengeance en vertu de cette conception, ne doivent jamais constituer un fondement pour légiférer.

Le droit à l’avortement représente un acquis historique pour tou-tes les hommes et les femmes du Canada. L’usage de ce droit ne constitue jamais un choix facile et représente souvent un moyen de dernier recours pour les femmes. Il est faux d’affirmer que les femmes qui choisissent de se faire avorter sont des personnes « anti-vie ». Plutôt, plusieurs femmes peuvent choisir de se refuser un avortement tout en s’affirmant « pro-choix. » Donc, la décision personnelle d’une femme de mettre un terme à sa grossesse ne doit jamais être interprétée comme étant une décision « contre » le foetus et sa vie. Les libertés de choisir et de s’auto-déterminer sont les fondements du progrès pour les femmes dans toutes sociétés. Le nier serait de déshumaniser plus de la moitié de la population terrestre, en restreignant les femmes à leur « rôle » biologique de reproduction et en s’assurant qu’elles y restent. Manifestement, le droit à un avortement libre et gratuit est loin d’être un droit acquis partout au Canada. Même si l’avortement est décriminalisé depuis 1988, seulement 1 centre hospitalier canadien sur 6 offre des services d’avortement accessibles et ces services sont inégalement répartis sur le territoire canadien. Les femmes du Nouveau-Brunswick doivent encore se rendre en Nouvelle-Écosse afin de mettre un terme à leur grossesse...

« L’avortement ne sera jamais recriminalisé au Canada ! » Les mots de mon collègue résonnent encore dans ma tête. Son commentaire représente celui partagé par des milliers d’autres personnes au Canada pensant que depuis les chaudes luttes gagnées par le Docteur Morgentaler, il n’y a plus lieu de s’inquiéter. Entre temps, nos député-es élu-es se lèvent en Chambre, parlent en notre nom et décident de ce qu’est « la bonne chose à faire »…

Cathy Wong

*Faisons la bonne chose ! Exprimons-nous sur le projet de loi C-484 avant sa 3e lecture en écrivant notre opinion à notre député(e)et en signant les pétitions en ligne!


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1 commentaire:

bisbilloe100 a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.